Octobre 2019 —

L’USSD, une technologie méconnue qui fait des merveilles en Afrique

Acheter un ticket de métro, souscrire une micro-assurance ou encore consulter ses réseaux sociaux sans connexion internet et sur des téléphones basiques, ces prouesses technologiques sont rendues possibles grâce à l'USSD. Ce protocole utilisé depuis plus de vingt ans, connaît un essor étonnant en Afrique. Loin des a priori occidentaux, le continent est bel et bien le berceau d'innovations inconnues en Europe.

L'USSD qu'est-ce que c'est ?

L'USSD (Unstructured Supplementary Service Data) est un protocole qui permet de déclencher un service par envoi d’un message. Mis en place il y a plus de vingt ans, c'était déjà grâce à lui que vous pouviez consulter votre solde Mobicarte en tapant le #123#. Répondeur, paiement mobile ou participation à un jeu concours, les usages sont multiples.
Son avantage ? Sa simplicité. En pratique, l’utilisateur envoie un code qui le connecte en temps réel à un opérateur téléphonique pour échanger des données. Contrairement à un SMS, il n’y a aucun stockage en USSD, les informations sont disponibles seulement durant l'ouverture de la session et disparaissent ensuite. Un protocole certes basique, mais qui ne nécessite pas le recours à une infrastructure lourde.
Cette technologie, peu connue en Europe, qui l'a délaissée au profit des applications mobile web dès l'arrivée du smartphone, continue d’être massivement utilisée dans le monde et notamment en Afrique. Là où il n'y a pas de réseau internet et où certaines prestations sont difficile d'accès, l'USSD ouvre la possibilité d'offrir des services digitaux de masse.
C'est le cas pour le secteur bancaire par exemple. Dans les régions du monde où les populations sont peu bancarisées, l'USSD est une aubaine pour transformer un simple téléphone mobile en support pour des opérations bancaires courantes, comme l'ont fait des acteurs comme MTN ou Orange Money avec les fameux "mobile wallets". Paiement sur un distributeur de boisson, transfert d’argent, consultation de ses comptes bancaires, paiement de factures, recharges de cartes téléphoniques sont autant d'applications concrètes qu'offre l'USSD.

Les multiples cas d'usages développés grâce à l'USSD

La technologie USSD est donc source d'innovation et pas uniquement dans le secteur bancaire. Au-delà des fonctions de base de ce protocole, les entrepreneurs Africains ont vite compris le potentiel de développement de cette technologie et l'ont utilisée pour répondre à de nombreux usages concrets.

Informer les agriculteurs grâce à l'USSD

C'est le cas de Brastorne. Cette start-up entend "connecter les non-connectés". Elle a mis au point une plateforme pour les populations dans les zones rurales qui peuvent ainsi accéder à un panel d'applications web depuis un simple téléphone, sans connexion internet, Data ni même de SMS. Un simple forfait téléphonique suffit ! Grâce à l'USSD, les utilisateurs de cette application originaire du Botswana peuvent accéder à Wikipédia, à un réseau social interne ou encore à leurs emails. Pour aller plus loin, Brastorne a développé une solution dédiée pour les agriculteurs. Baptisée MAgri, l'application donne accès aux agriculteurs à des services à haute valeur ajoutée pour les agriculteurs :

  • Consulter des informations liées à leur activité (conseils, base de données sur la santé des animaux, prix des matières premières et alertes météorologiques)
  • Suivre les cours du marché
  • Accéder à des finances à court terme
  • Vendre leurs produits en ligne

Mieux informés, cet outil d'aide à la décision les aide à mieux gérer leurs cultures au quotidien.

L'usage de l'USSD dans la santé

Côté santé, il y a aussi des innovations. ApiAfrique par exemple, une start up Sénégalaise, s'est associé avec Yaay.sn, le réseau médical de cliniques NEST et l’ONG Speak Up Africa, pour créer le programme "Changeons les règles". Leur but est "de parler, démystifier, expliquer, donner des clés et des outils pour que chaque femme puisse vivre ses règles sereinement et vivre la vie qui lui convient". Parmi les outils utilisés, l'application mobile "femin'in" avec sa déclinaison USSD. Grâce à elle, n'importe quelle femme ayant un téléphone mobile, avec ou sans internet accède aux services suivants :

  • s'informer sur les règles et le cycle menstruel
  • obtenir des conseils personnalisés
  • calculer son cycle
  • gérer sa contraception
  • consulter un annuaire pour obtenir des conseils d'un profesionnel

La version USSD fonctionne avec des contenus sous forme de texte, sous forme de messages vocaux en différentes langues et renvoie également au call Center de sages-femmes Lydia Conseils (DKT intl) pour toute question complémentaire.

Réviser ses leçons : USSD et éducation

L'USSD est aussi bien présente dans le secteur de l'éducation. Une startup kenyanne, Eneza Education, a décidé de révolutionner l'apprentissage scolaire via des quizz accessibles sur mobile.
La marche à suivre est simple :

  • L'élève s'inscrit via un numéro de téléphone (de l’opérateur local Safaricom)
  • Il choisit un sujet à étudier
  • L'application lui envoie alors des questions par message, sous forme de quizz
  • A la fin de chaque exercice, il voit son résultat et peut passer à une autre matière

En cas d'échec la start-up a aussi prévu une solution. Si l'élève obtient moins de 50% de bonnes réponses, il reçoit alors des “minis leçons” pour lui permettre de revoir les notions et réussir les prochains quizz.

Un apprentissage sans enseignant ? Pas tout à fait. Un corps enseignant "réel" est présent pour répondre instantanément aux élèves.

USSD et assurance

Ressources financières limitées, vie éloignée des zones urbaines, manque d'éducation et faible connaissance des mécanismes d'assurances souvent complexes voire incompréhensibles ; voici autant d'explications au faible taux d'assurés santé en Afrique. Une faiblesse pointée et illustrée par ID4D en 2017.

Source : ID4D - 2017

En Tanzanie par exemple, Les Echos mentionnaient en 2017, que seule 4,5% de la population détiendrait une couverture santé.
Dès lors, à l'image de la micro-finance, la micro-assurance revêt un intérêt majeur. En complément des assurances de santé obligatoires développées par les gouvernements, l'assurance santé dite "volontaire" est un secteur où l'USSD a une place à prendre.
La start-up Jamii en est l'exemple. Lancée en janvier 2015 en partenariat avec Vodacom Tanzania et Jubilee Insurance, elle permet aux utilisateurs de souscrire une assurance via USSD, à partir de 1 $ par mois. Jamii compte un réseau de 400 hopitaux et 20 000 utilisateurs actifs.

Des produits d'assurance ciblés, simples et bon marché qui ne nécessitent ni le recours à internet, ni aux espèces et permettent une prise en charge directe dans les établissements ayant signé un partenariat avec la start-up.

Le principe est simple :

  • L'utilisateur se connecte via l'USSD à une plateforme de souscription
  • Il remplit son profil, choisit son niveau de couverture
  • Il paye son adhésion via M-pesa
  • L'application lui délivre alors un identifiant unique et personnel qu'il pourra utiliser dans les centres de santé partenaires de Jamii pour bénéficier des garanties de soins.

La solution Jamii réponse à un enjeux majeur de santé public, puisque l'absence d'assurance santé peut avoir des conséquences importantes : soins retardés, endettement, vente des biens familiaux... entrainant la faillite de nombreuses familles. Aujourd'hui considérée comme un produit de luxe, avec Jamii l'assurance devient à la portée de tous grâce à une technologie qui a permis de réduire significativement les coûts administratifs.

USSD et transport

Et si l'USSD permettait à une start-up de concurrencer localement un mastodonte international ? C'est le pari de Little Cab, une jeune entreprise de logiciels Kenyane qui s’est associée au leader des télécoms local pour lancer une application concurrente à Uber à Nairobi.
En lançant Little Cab, la start-up a développé une application permettant de commander un taxi depuis n'importe quel mobile, grâce au protocole USSD. Le client qui souhaite commander un taxi, tape le *826# sur son téléphone, via Safaricom Network. L'application le met en relation avec le chauffeur disponible le plus proche de lui et il peut directement payer sa course de son téléphone. Un moyen simple qui permet d'ouvrir au plus grand nombre les service de chauffeurs VTC, porteur de smartphone ou non.

Une technologie qui demeure basique

L'USSD est donc un véritable outil de démocratisation des usages digitaux. Pour autant, c'est une technologie qui reste relativement basique. Tout d'abord, car chaque session a un coût (network fees) et une durée d'ouverture limitée (time session). Ainsi, après 90 à 180 seconde la session se ferme automatiquement. Comme il n'y a pas de sauvegarde de données, l'utilisateur doit recommencer à zéro. Coûteux, mais aussi relativement limité en matière d'expérience client : impossible de faire des tâches longues. Le principal concurrent est donc évidemment l'essor de l'internet mobile. D'une part sur smartphone et d'autre part, aussi étonnant que cela puisse paraître, sur l'arrivé de systèmes d'exploitation destinés aux appareils basiques (les "feature phone"). C'est le cas de KaiOS, qui développe un Operating System dédié aux téléphones non-tactiles et qui permet aux utilisateurs de téléphones basiques d'accéder à des applications telles que Facebook, WhatsApp, Google Maps avec une expérience utilisateur adaptée. Pour certains ce sera leur premier accès à Internet !

L'USDD, est-ce bientôt à enterrer ?

Probablement pas si vite. S'il apparaît évident qu'à terme son usage sera de plus en plus limité, la technologie USSD a encore incontestablement de belles années devant elle. Si le taux de pénétration d'internet est en très forte croissance sur tout le continent Africain, il reste cependant encore faible par rapport au reste du monde. Selon les chiffres de l'agence We are social pour 2019 les taux serait en moyenne de 51% en Afrique Australe, 50% au Maghreb et de seulement 12% en Afrique Centrale. Un frein au développement de technologie plus évoluée pour une partie non négligeable de la population.

USSD - Taux de pénétration internet en Afrique de l'Ouest

Autre paramètre important : le prix. Le haut débit mobile coûte très cher dans certains pays du continent. Ce qui restreint considérablement l'accessibilité d'internet à tous... Peu d'Africains ont les moyens de se payer une forfait internet H24 !

Classement du prix d'1 Gb en haut débit mobile selon les pays d'Africains (en dollars)
Source : Alliance for Affordable Internet

1Egypte1,12
2Soudan1,20
3Nigeria2,74
4Rwanda2,80
5Burundi3,30
6Cameroun3,48
7Niger3,48
8Sénégal3,48
9Mozambique3,50
10Ethiopie3,56
11Tunisie3,61
12Ouganda4,04
13Ghana4,10
14Zambie4,20
15Congo Brazzaville4,45
16Guinée4,75
17Lesotho4,80
18Kenya4,86
19Malawi4,86
20Gambi5,08
21Cap Vert5,17
22Bénin5,22
23Maroc5,28
24Soudan5,53
25Tanzani5,62
26Liberia5,75
27Maurice5,94
28Comores6,08
29Algérie6,73
30Gabon6,96
31Madagascar7,14
32Burkina Faso7,52
33Togo7,83
34Mali8,70
35Côte d'Ivoire8,78
36Botswana8,84
37Afrique du Sud10,41
38Namibi11,02
39RDA11,19
40Libya11,32
41Tchad12,18
42 D.R. Congo 12,58
43Sierra Leone14,34
44Somalie15,00
45Zimbabwe15,00
46Guinée-Bissau15,66
47Angola 16,30
48Equatorial Guinea34,80

L'USSD a donc encore de belles années devant lui avant la démocratisation de l'usage du smartphone en Afrique, ce qui en fait une des technologies mobiles les plus pérennes de la courte histoire de la téléphonie ! Par ailleurs, la réglementation mise en place autour de l'USSD comme au Cameroun ou au Mali, permettra à de plus en plus d'acteurs de pouvoir accéder à ce canal doré, jusqu'alors chasse gardée des opérateurs téléphoniques. De quoi continuer à digitaliser le continent et à nous faire rêver par des applications mobiles toujours plus innovantes au service du plus grand nombre ...

Tiana


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